«La Piel de Zapa» en francés
La Peau de chagrin
4.3923 votos
â Autor | HonorĂ© de Balzac |
đ Paginas | 192 |
â° Tiempo de leer | 16 horas |
đĄ Fecha de publicaciĂłn | 1831 |
đ Idioma original | FrancĂ©s |
đ Tipos | Novela , Cuento de hadas |
đ GĂ©neros | Drama, MĂstica, Prosa, PsicolĂłgica, Social, Tragedia, FantĂĄstica, FilosĂłfica, Novela de fantasĂa |
đ Secciones | Novela mĂstica , Novela psicolĂłgica , Novela social , Novela filosĂłfica |
Tabla de contenido
Traducciones
La Peau de chagrin: leer el libro original
Ă MONSIEUR SAVARY,
MEMBRE DE LâACADĂMIE DES SCIENCES
STERNE (Tristan Shandy, ch. CCCXXII).
LE TALISMAN
Vers la fin du mois dâoctobre dernier, un jeune homme entra dans le Palais-Royal au moment oĂč les maisons de jeu sâouvraient, conformĂ©ment Ă la loi qui protĂ©ge une passion essentiellement imposable. Sans trop hĂ©siter, il monta lâescalier du tripot dĂ©signĂ© sous le nom de numĂ©ro 36.
âMonsieur, votre chapeau, sâil vous plaĂźt? lui cria dâune voix sĂšche et grondeuse un petit vieillard blĂȘme accroupi dans lâombre, protĂ©gĂ© par une barricade, et qui se leva soudain en montrant une figure moulĂ©e sur un type ignoble.
Quand vous entrez dans une maison de jeu, la loi commence par vous dĂ©pouiller de votre chapeau. Est-ce une parabole Ă©vangĂ©lique et providentielle! Nâest-ce pas plutĂŽt une maniĂšre de conclure un contrat infernal avec vous en exigeant je ne sais quel gage? Serait-ce pour vous obliger Ă garder un maintien respectueux devant ceux qui vont gagner votre argent? Est-ce la police tapie dans tous les Ă©gouts sociaux qui tient Ă savoir le nom de votre chapelier ou le vĂŽtre, si vous lâavez inscrit sur la coiffe? Est-ce enfin pour prendre la mesure de votre crĂąne et dresser une statistique instructive sur la capacitĂ© cĂ©rĂ©brale des joueurs? Sur ce point lâadministration garde un silence complet. Mais, sachez-le bien, Ă peine avez-vous fait un pas vers le tapis vert, dĂ©jĂ votre chapeau ne vous appartient pas plus que vous ne vous appartenez Ă vous-mĂȘme: vous ĂȘtes au jeu, vous, votre fortune, votre coiffe, votre canne et votre manteau. Ă votre sortie, le JEU vous dĂ©montrera, par une atroce Ă©pigramme en action, quâil vous laisse encore quelque chose en vous rendant votre bagage. Si toutefois vous avez une coiffure neuve, vous apprendrez Ă vos dĂ©pens quâil faut se faire un costume de joueur. LâĂ©tonnement manifestĂ© par lâĂ©tranger quand il reçut une fiche numĂ©rotĂ©e en Ă©change de son chapeau, dont heureusement les bords Ă©taient lĂ©gĂšrement pelĂ©s, indiquait assez une Ăąme encore innocente. Le petit vieillard, qui sans doute avait croupi dĂšs son jeune Ăąge dans les bouillants plaisirs de la vie des joueurs, lui jeta un coup dâĆil terne et sans chaleur, dans lequel un philosophe aurait vu les misĂšres de lâhĂŽpital, les vagabondages des gens ruinĂ©s, les procĂšs-verbaux dâune foule dâasphyxies, les travaux forcĂ©s Ă perpĂ©tuitĂ©, les expatriations au Guazacoalco. Cet homme, dont la longue face blanche nâĂ©tait plus nourrie que par les soupes gĂ©latineuses de dâArcet, prĂ©sentant la pĂąle image de la passion rĂ©duite Ă son terme le plus simple. Dans ses rides il y avait trace de vieilles tortures, il devait jouer ses maigres appointements le jour mĂȘme oĂč il les recevait; semblable aux rosses sur qui les coups de fouet nâont plus de prise, rien ne le faisait tressaillir; les sourds gĂ©missements des joueurs qui sortaient ruinĂ©s, leurs muettes imprĂ©cations, leurs regards hĂ©bĂ©tĂ©s, le trouvaient toujours insensible. CâĂ©tait le Jeu incarnĂ©. Si le jeune homme avait contemplĂ© ce triste CerbĂšre, peut-ĂȘtre se serait-il dit: Il nây a plus quâun jeu de cartes dans ce cĆur-lĂ ! Lâinconnu nâĂ©couta pas ce conseil vivant, placĂ© lĂ sans doute par la Providence, comme elle a mis le dĂ©goĂ»t Ă la porte de tous les mauvais lieux; il entra rĂ©solument dans la salle oĂč le son de lâor exerçait une Ă©blouissante fascination sur les sens en pleine convoitise. Ce jeune homme Ă©tait probablement poussĂ© lĂ par la plus logique de toutes les Ă©loquentes phrases de J.-J. Rousseau, et dont voici, je crois, la triste pensĂ©e: Oui, je conçois quâun homme aille au Jeu; mais câest lorsque entre lui et la mort il ne voit plus que son dernier Ă©cu.
Le soir, les maisons de jeu nâont quâune poĂ©sie vulgaire, mais dont lâeffet est assurĂ© comme celui dâun drame sanguinolent. Les salles sont garnies de spectateurs et de joueurs, de vieillards indigents qui sây traĂźnent pour sây rĂ©chauffer, de faces agitĂ©es, dâorgies commencĂ©es dans le vin et prĂȘtes Ă finir dans la Seine; la passion y abonde, mais le trop grand nombre dâacteurs vous empĂȘche de contempler face Ă face le dĂ©mon du jeu. La soirĂ©e est un vĂ©ritable morceau dâensemble oĂč la troupe entiĂšre crie, oĂč chaque instrument de lâorchestre module sa phrase. Vous verriez lĂ beaucoup de gens honorables qui viennent y chercher des distractions et les payent comme ils payeraient le plaisir du spectacle, de la gourmandise, ou comme ils iraient dans une mansarde acheter Ă bas prix de cuisants regrets pour trois mois. Mais comprenez-vous tout ce que doit avoir de dĂ©lire et de vigueur dans lâĂąme un homme qui attend avec impatience lâouverture dâun tripot? Entre le joueur du matin et le joueur du soir il existe la diffĂ©rence qui distingue le mari nonchalant de lâamant pĂąmĂ© sous les fenĂȘtres de sa belle. Le matin seulement arrivent la passion palpitante et le besoin dans sa franche horreur. En ce moment vous pourrez admirer un vĂ©ritable joueur, un joueur qui nâa pas mangĂ©, dormi, vĂ©cu, pensĂ©, tant il Ă©tait rudement flagellĂ© par le fouet de sa martingale; tant il souffrait travaillĂ© par le prurit dâun coup de trente et quarante. Ă cette heure maudite, vous rencontrerez des yeux dont le calme effraie, des visages qui vous fascinent, des regards qui soulĂšvent les cartes et les dĂ©vorent. Aussi les maisons de jeu ne sont-elles sublimes quâĂ lâouverture de leurs sĂ©ances. Si lâEspagne a ses combats de taureaux, si Rome a eu ses gladiateurs, Paris sâenorgueillit de son Palais-Royal, dont les agaçantes roulettes donnent le plaisir de voir couler le sang Ă flots, sans que les pieds du parterre risquent dây glisser. Essayez de jeter un regard furtif sur cette arĂšne, entrez... Quelle nuditĂ©! Les murs, couverts dâun papier gras Ă hauteur dâhomme, nâoffrent pas une seule image qui puisse rafraĂźchir lâĂąme; il ne sây trouve mĂȘme pas un clou pour faciliter le suicide. Le parquet est usĂ©, malpropre. Une table oblongue occupe le centre de la salle. La simplicitĂ© des chaises de paille pressĂ©es autour de ce tapis usĂ© par lâor annonce une curieuse indiffĂ©rence du luxe chez ces hommes qui viennent pĂ©rir lĂ pour la fortune et pour le luxe. Cette antithĂšse humaine se dĂ©couvre partout oĂč lâĂąme rĂ©agit puissamment sur elle-mĂȘme. Lâamoureux veut mettre sa maĂźtresse dans la soie, la revĂȘtir dâun moelleux tissu dâOrient, et la plupart du temps il la possĂšde sur un grabat. Lâambitieux se rĂȘve au faĂźte du pouvoir, tout en sâaplatissant dans la boue du servilisme. Le marchand vĂ©gĂšte au fond dâune boutique humide et malsaine, en Ă©levant un vaste hĂŽtel, dâoĂč son fils, hĂ©ritier prĂ©coce, sera chassĂ© par une licitation fraternelle. Enfin, existe-t-il chose plus dĂ©plaisante quâune maison de plaisir? Singulier problĂšme! Toujours en opposition avec lui-mĂȘme, trompant ses espĂ©rances par ses maux prĂ©sents, et ses maux par un avenir qui ne lui appartient pas, lâhomme imprime Ă tous ses actes le caractĂšre de lâinconsĂ©quence et de la faiblesse. Ici-bas rien nâest complet que le malheur. Au moment oĂč le jeune homme entra dans le salon, quelques joueurs sây trouvaient dĂ©jĂ . Trois vieillards Ă tĂȘtes chauves Ă©taient nonchalamment assis autour du tapis vert; leurs visages de plĂątre, impassibles comme ceux des diplomates, rĂ©vĂ©laient des Ăąmes blasĂ©es, des cĆurs qui depuis long-temps avaient dĂ©sappris de palpiter, mĂȘme en risquant les biens paraphernaux dâune femme. Un jeune Italien aux cheveux noirs, au teint olivĂątre, Ă©tait accoudĂ© tranquillement au bout de la table, et paraissait Ă©couter ces pressentiments secrets qui crient fatalement Ă un joueur: âOui. âNon! Cette tĂȘte mĂ©ridionale respirait lâor et le feu. Sept ou huit spectateurs, debout, rangĂ©s de maniĂšre Ă former une galerie, attendaient les scĂšnes que leur prĂ©paraient les coups du sort, les figures des acteurs, le mouvement de lâargent et celui des rĂąteaux. Ces dĂ©sĆuvrĂ©s Ă©taient lĂ , silencieux, immobiles, attentifs comme lâest le peuple Ă la GrĂšve quand le bourreau tranche une tĂȘte. Un grand homme sec, en habit rĂąpĂ©, tenait un registre dâune main, et de lâautre une Ă©pingle pour marquer les passes de la Rouge ou de la Noire. CâĂ©tait un de ces Tantales modernes qui vivent en marge de toutes les jouissances de leur siĂšcle, un de ces avares sans trĂ©sor qui jouent une mise imaginaire, espĂšce de fou raisonnable qui se consolait de ses misĂšres en caressant une chimĂšre, qui agissait enfin avec le vice et le danger comme les jeunes prĂȘtres avec lâEucharistie, quand ils disent des messes blanches. En face de la banque, un ou deux de ces fins spĂ©culateurs, experts des chances du jeu, et semblables Ă dâanciens forçats qui ne sâeffraient plus des galĂšres, Ă©taient venus lĂ pour hasarder trois coups et remporter immĂ©diatement le gain probable duquel ils vivaient. Deux vieux garçons de salle se promenaient nonchalamment les bras croisĂ©s, et de temps en temps regardaient le jardin par les fenĂȘtres, comme pour montrer aux passants leurs plates figures, en guise dâenseigne. Le tailleur et le banquier venaient de jeter sur les porteurs ce regard blĂȘme qui les tue, et disaient dâune voix grĂȘle: âFaites le jeu! quand le jeune homme ouvrit la porte. Le silence devint en quelque sorte plus profond, et les tĂȘtes se tournĂšrent vers le nouveau venu par curiositĂ©. Chose inouĂŻe! les vieillards Ă©moussĂ©s, les employĂ©s pĂ©trifiĂ©s, les spectateurs, et jusquâau fanatique Italien, tous en voyant lâinconnu Ă©prouvĂšrent je ne sais quel sentiment Ă©pouvantable. Ne faut-il pas ĂȘtre bien malheureux pour obtenir de la pitiĂ©, bien faible pour exciter une sympathie, ou dâun bien sinistre aspect pour faire frissonner les Ăąmes dans cette salle oĂč les douleurs doivent ĂȘtre muettes, la misĂšre gaie, le dĂ©sespoir dĂ©cent! Eh bien! il y avait de tout cela dans la sensation neuve qui remua ces cĆurs glacĂ©s quand le jeune homme entra. Mais les bourreaux nâont-ils pas quelquefois pleurĂ© sur les vierges dont les blondes tĂȘtes devaient ĂȘtre coupĂ©es Ă un signal de la RĂ©volution? Au premier coup dâĆil les joueurs lurent sur le visage du novice quelque horrible mystĂšre: ses jeunes traits Ă©taient empreints dâune grĂące nĂ©buleuse, son regard attestait des efforts trahis, mille espĂ©rances trompĂ©es! La morne impassibilitĂ© du suicide donnait Ă son front une pĂąleur mate et maladive, un sourire amer dessinait de lĂ©gers plis dans les coins de sa bouche, et sa physionomie exprimait une rĂ©signation qui faisait mal Ă voir. Quelque secret gĂ©nie scintillait au fond de ses yeux, voilĂ©s peut-ĂȘtre par les fatigues du plaisir. Ătait-ce la dĂ©bauche qui marquait de son sale cachet cette noble figure jadis pure et brĂ»lante, maintenant dĂ©gradĂ©e? Les mĂ©decins auraient sans doute attribuĂ© Ă des lĂ©sions au cĆur ou Ă la poitrine le cercle jaune qui encadrait les paupiĂšres, et la rongeur qui marquait les joues, tandis que les poĂštes eussent voulu reconnaĂźtre Ă ces signes les ravages de la science, les traces de nuits passĂ©es Ă la lueur dâune lampe studieuse. Mais une passion plus mortelle que la maladie, une maladie plus impitoyable que lâĂ©tude et le gĂ©nie, altĂ©raient cette jeune tĂȘte, contractaient ces muscles vivaces, tordaient ce cĆur quâavaient seulement effleurĂ© les orgies, lâĂ©tude et la maladie. Comme, lorsquâun cĂ©lĂšbre criminel arrive au bagne, les condamnĂ©s lâaccueillent avec respect, ainsi tous ces dĂ©mons humains, experts en tortures, saluĂšrent une douleur inouĂŻe, une blessure profonde que sondait leur regard, et reconnurent un de leurs princes Ă la majestĂ© de sa muette ironie, Ă lâĂ©lĂ©gante misĂšre de ses vĂȘtements. Le jeune homme avait bien un frac de bon goĂ»t, mais la jonction de son gilet et de sa cravate Ă©tait trop savamment maintenue pour quâon lui supposĂąt du linge. Ses mains, jolies comme des mains de femme, Ă©taient dâune douteuse propretĂ©; enfin depuis deux jours il ne portait plus de gants! Si le tailleur et les garçons de salle eux-mĂȘmes frissonnĂšrent, câest que les enchantements de lâinnocence florissaient par vestiges dans ses formes grĂȘles et fines, dans ses cheveux blonds et rares, naturellement bouclĂ©s. Cette figure avait encore vingt-cinq ans, et le vice paraissait nây ĂȘtre quâun accident. La verte vie de la jeunesse y luttait encore avec les ravages dâune impuissante lubricitĂ©. Les tĂ©nĂšbres et la lumiĂšre, le nĂ©ant et lâexistence sây combattaient en produisant tout Ă la fois de la grĂące et de lâhorreur. Le jeune homme se prĂ©sentait lĂ comme un ange sans rayons, Ă©garĂ© dans sa route. Aussi tous ces professeurs Ă©mĂ©rites de vice et dâinfamie, semblables Ă une vieille femme Ă©dentĂ©e, prise de pitiĂ© Ă lâaspect dâune belle fille qui sâoffre Ă la corruption, furent-ils prĂȘts Ă crier au novice: âSortez! Celui-ci marcha droit Ă la table, sây tint debout, jeta sans calcul sur le tapis une piĂšce dâor quâil avait Ă la main, et qui roula sur Noir; puis, comme les Ăąmes fortes, abhorrant de chicaniĂšres incertitudes, il lança sur le tailleur un regard tout Ă la fois turbulent et calme. LâintĂ©rĂȘt de ce coup Ă©tait si grand que les vieillards ne firent pas de mise; mais lâItalien saisit avec le fanatisme de la passion une idĂ©e qui vint lui sourire, et ponta sa masse dâor en opposition au jeu de lâinconnu. Le banquier oublia de dire ces phrases qui se sont Ă la longue converties en un cri rauque et inintelligible: Faites le jeu! âLe jeu est fait! âRien ne va plus. Le tailleur Ă©tala les cartes, et sembla souhaiter bonne chance au dernier venu, indiffĂ©rent quâil Ă©tait Ă la perte ou au gain fait par les entrepreneurs de ces sombres plaisirs. Chacun des spectateurs voulut voir un drame et la derniĂšre scĂšne dâune noble vie dans le sort de cette piĂšce dâor; leurs yeux arrĂȘtĂ©s sur les cartons fatidiques Ă©tincelĂšrent; mais, malgrĂ© lâattention avec laquelle ils regardĂšrent alternativement et le jeune homme et les cartes, ils ne purent apercevoir aucun symptĂŽme dâĂ©motion sur sa figure froide et rĂ©signĂ©e.
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